Tracks : Done Got Old ; Baby, Please Don't Leave Me ; Look What All You Got ; Stay All Night ; Tramp ; She Got The Devil in Her ; I Gotta Try You Girl ; Who's Been Foolin' You ; It's A Jungle Out There
Retour à la maison... Bienvenue chez toi. Retour dans les bayous de la Louisiane, lieux de naissance de Buddy Guy, mais aussi et surtout lieux de naissance du blues. C'est dans ces marais qu'errent les fantômes de Charley Patton, de Robert Johnson, de John lee Hooker, de Son House et de Bukka White qui sont nés à Clarksdale, à quelques kilomètres de là. C'est dans ces marais et ces champs de coton que le blues est né, avant d'émigrer chez Chess Records à Chicago. Et c'est vers le Mississippi et la Louisiance que revient Buddy Guy à 65 ans avec Sweet Tea. L'image même de la maison sur la pochette semble évoquer ce sud moite des États-Unis au début du XXème siècle, ses esprits tutélaires et l'atmosphère mythique qui s'en dégage. Notre seule envie est de pénétrer à la suite du bluesman dans cette énigmatique maison, pour s'abreuver d'un peu de blues et peut-être de thé, tous deux préparés avec un savoir fait ancestral. Le blues est-il finalement aussi inspiré qu'on l'espère et le thé aussi doux et plaisant qu'annoncé?
La première gorgée de ce thé est trompeuse. Très douce et acoustique, à l'ancienne, c'est une reprise de Junior Kimbrough qui entame la transe. Done Got Old est plaisante, moins hypnotique que l'originale à cause de la guitare acoustique, mais fait une bonne introduction à ce blues sudiste mythique. Les spectres de Son House et Robert Johnson rodent au dehors de la cabane... Réminiscence d'un crossroads qui n'est peut-être qu'à quelques mètres de là et qui n'attend que le voyageur égaré...
Mais cette reprise de Junior Kimbrough n'est pas innocente et son ombre rode aussi sur ce Sweet Tea, alors qu'on se perd au fil des riffs. Car on retrouve ici d'autres reprises de ce bluesman décédé en 1998, notamment deux, qui sont aussi les deux meilleurs morceaux de l'album : les longs Tramp (6min48) et I Gotta Try You Girl (12min10). Deux blues poisseux et hypnotiques, telluriques et hantés par l'esprit du bayou. Une orgie sonique sans fin (enfin c'est ce qu'on aimerait) pleine d'une magie ancestrale, inévitablement noire. Mais aux cotés de l'esprit de Junior Kimbrough, Buddy Guy convoque aussi l'esprit d'un autre guitariste qui comme Robert Johnson est mort à 27 ans. Comment en effet ne pas penser à Jimi Hendrix avec ce blues chamanique vaudou et ses soli incendiaires? Impossible de ne pas ressentir l'esprit du voodoo chile mort 30 ans auparavant imprégner les soli de Buddy Guy, qui est loin d'être un manchot à la guitare. Après tout, lequel a influencé à l'autre? Question difficile lorsqu'on parle de cette musique. Tramp est néanmoins un pur bonheur pour tout amateur de blues électrique surpuissant, et I Gotta Try You Girl est une longue transe dépassant encore l'originale dans cet esprit caverneux et hypnotique. Des must absolus dans ce genre.
Caverneux et hypnotique, poisseux comme le bayou. Hanté par l'esprit des bluesmen et par la personnalité impressionnante de Buddy Guy, voilà comment définir ce Sweet Tea. Même ses compositions personnelles résonnent de prouesses guitaristiques (les riffs comme celui du lourd Stay All Night et les soli sont excellents). La production n'est pas en reste, avec un écho qu'on retrouve un peu tout au long de l'album comme sur l'intro à la batterie de Baby, Please Don't Leave Me ou sur la voix (Stay All Night par exemple) contribue à donner ce coté hypnotique et étrangement fascinant à l'album... C'est parfois étrange (le son est parfois très caverneux, comme enregistré depuis l'intérieur de cette cabane), mais ça donne une âme folle à ce disque.
Du riff martelé de Look What All You Got à la transe de Tramp en passant par le plus traditionnel final d'It's A Jungle Out There (au style de guitare plus habituel chez Buddy Guy, ressemblant à B.B. King et qui eu une grosse inspiration sur Clapton notamment), tout est au pire très bon ici. C'est même à mon goût le meilleur album de ce bluesman, devançant même pour moi ce qui est souvent considéré comme son classique, A Man and The Blues (1968). Plus plaisant à mes yeux, car la galette a quelque chose de chamanique, une âme et un son qui me font chavirer. Le blues comme je l'aime, différent du blues plein de soul (et de cuivres) des débuts de Buddy Guy très inspirés par B.B. King. Ce n'est bien sur que mon avis, mais ce retour sur les rives du Mississippi ou rode les esprits et le diable est un pur bonheur. Un thé savoureux, fort en saveurs et en goût, et qui possède indéniablement le goût d'une terre unique...
17/20 (NB : La note exprime juste le plaisir que j’ai ressenti personnellement à l’écoute, non pas une note de la technique musicale, ou même de la valeur réelle de l’album en général. Elle permet juste d’indiquer mon échelle de plaisir ressenti ici.)
Moi-même.
PS: Merci à Koamae de Rock Fever (link) et Blog n'Rock (link) pour la découverte!