Tracks : Dive ; Sliver ; Stain ; Been A Son ; Turnaround ; Molly’s Lips ; Son Of A Gun ; (New Wave) Polly ; Beeswax ; Downer ; Mexican Seafood ; Hairspray Queen ; Aero Zeppelin ; Big Long Now ; Aneurysm
Qui aurait pu parier sereinement sur l‘avenir de Nirvana en 1990 ? Peu de gens, je suppose. Car si Nirvana - Bleach (1989) n’est pas un mauvais album (loin de là), il est loin d’être annonciateur de la légende que deviendra le trio de Seattle quelques années plus tard. Et pourtant, il faut saluer le flair des gens de chez Geffen, suffisamment habiles pour débaucher Nirvana du petit label indépendant Subpop, qui détenait les droits des premiers enregistrements de Nirvana. La major fut en outre suffisamment intelligente pour allouer au groupe les services du producteur Butch Vig. Ce qui malgré les protestations des fans et de Cobain, n’est ni plus ni moins qu’un éclair de génie.
1991 : la tournade Nevermind est passée. Emmené par quatre singles majestueux (Smells Like Teen Spirit ; Come As You Are ; Lithium ; In Bloom), le disque cartonne et remet le rock à guitares à la mode pour de longues années. Pourtant l’histoire de Nirvana, et à fortiori du grunge, n’a pas commencé avec Nevermind, ou même Ten de Pearl Jam. Bien vite, les fans du trio formé par Kurt Cobain, Krist Nosovelic et Dave Grohl s’intéressent aux premiers enregistrements du groupe, gravés chez Subpop. Bleach bien entendu, mais pas uniquement. Des pirates sur les premiers enregistrements du groupe se mettent à circuler sur le marché noir. Au grand désarroi de Cobain qui juge ces bootlegs de mauvaise qualité, et prend la décision de publier officiellement une compilation qui regrouperait divers enregistrements de l’époque Subpop, ainsi que certains de chez Geffen. Le label indépendant ne se fait pas prier et très vite un accord est trouvé. La compilation, nommée Incesticide est publiée le 14 décembre 1992 sous une pochette dessinée par Cobain, et un an après Nevermind, vise à poursuivre la folie Nirvana. Avec succès ?
De manière très normande, je dirais oui et non. Car Incesticide est clairement un disque de transition pour Nirvana, qui ne l’a d’ailleurs pas pensé en tant qu’album. Il y a de tout ici, des morceaux relativement expérimentaux aux bombes pop-grunge que le groupe enfilait comme des perles entre 1991 et 1994. Le début du disque fait d’ailleurs la part belle à des morceaux qui auraient pu faire des singles tout à fait satisfaisants. Derrière la production lourde de Butch Vig et ses grosses guitares, Dive est par exemple un morceau plutôt bien écrit, assez lancinant et plaisant. Il aurait pu se trouver sur Bleach, mais il annonce quelque part déjà la suite de ce que sera Nirvana : un groupe de pop qui se cache derrière de grosses guitares.
Une impression renforcée par les morceaux suivants, le tubesque Sliver en tête. Là clairement, ce titre aurait pu se trouver sur Nevermind ou In Utero. C’est une véritable bombe pop, bien composée (ce refrain !), porté par une très bonne ligne de basse et où la rage du groupe, conjuguée au texte très personnel de Cobain (qui évoque ici le divorce de ses parents) fait littéralement des merveilles. Un clip fut même tourné pour ce morceau, mais ne fut jamais utilisé, et c’est bien dommage tant il mérite de figurer parmi les meilleurs titres du combo. On le retrouve d’ailleurs sur le best-of, ce qui est on ne peut plus logique. Une des pépites cachées du groupe.
Il en va de même pour Been A Son, morceau assez bref et peu connu du trio, mais qui est clairement excellent. Tout comme Sliver, ce morceau est clairement pop : le refrain est dévastateur, se retient vite et bien, et les instruments sont bien équilibrés entre guitares lourdes et rythmique carrée (notamment la batterie assurée ici par Dave Grohl). Le chant de Cobain achève de nous conquérir sur ce titre enregistré le 9 novembre 1991 à une BBC Session pour Mark Goodier. Aneurysm, qui conclut le disque et qui a été enregistré lors de la même session démontre bien qu’au-delà de ceux de Nevermind, Nirvana avait composé un bon nombre de très grands morceaux en 1991.
La compilation est aussi complétée avec trois reprises, jouées lors d’une autre BBC session du 21 octobre 1990 pour le légendaire DJ anglais John Peel. Il s’agit de Turnaround (du groupe Devo), de Molly’s Lips et de Son Of A Gun des Vaselines. On le sait, Nirvana a été doué tout au long de sa carrière pour faire des reprises. C’est le cas sur Nirvana - Unplugged In New York (1994), mais c’est aussi déjà le cas ici. Ces reprises sont extrêmement plaisantes, notamment la très belle et très connotée Molly’s Lips qui semble parler de drogue. Son of A Gun est aussi un très bon morceau, et au final le moins qu’on puisse dire, c’est que Nirvana était très à l’aise pour jouer les morceaux des Vaselines (Jesus Doesn’t Want Me For A Sunbeam sur l’Unplugged est aussi d’eux) !
La suite se fait avec une version alternative de Polly assez intéressante, plus rapide et électrique que celle de Nevermind mais qui est à mon sens inférieure à l’originale ou à celle de l’Unplugged.
Le dernier tiers du disque (Aneurysm excepté) est composé de six morceaux assez punks dans l’âme, enregistrés entre janvier 1988 (Beeswax ; Downer ; Mexican Seafood ; Hairspray Queen et Aero Zeppelin) et les sessions de Bleach en décembre 1988 et janvier 89 (Big Long Now). Je dois bien avouer que c’est à ce moment là que je décroche d’Incesticide. Cette facette punk et juvénile de Nirvana ne me passionne pas outre mesure, à l’exception du lancinant et intéressant Big Long Now, qui aurait vraiment pu se trouver sur Bleach. Un album que je n’apprécie pas outre mesure, même s’il reste tout à fait correct. Et ces morceaux du début de Nirvana sont à mon gout assez laborieux et au final assez dispensables, à moins d’être un fan absolu du combo…
Voilà qui gâche donc un peu mon appréciation globale d’Incesticide. Ce qui est dommage. Car clairement, on a affaire ici à une bonne compilation, complète et instructive, mais qui bat un peu le chaud et le froid. D’un coté, il y a de vrais bons morceaux, notamment ceux enregistrés après 1990, et quelques pépites méconnues du groupe (Sliver ; Dive ; Been A Son ; Aneurysm). Les reprises sont aussi extrêmement agréables. D’un autre coté, la compilation couvre les premiers enregistrements du trio, et là clairement j’en suis moins friand. Néanmoins, si Nevermind et In Utero restent largement meilleurs, un amateur du groupe gagne clairement à poser une oreille sur Incesticide, tant il contient de bonnes choses. Pour fans.
13/20 (NB : La note exprime juste le plaisir que j’ai ressenti personnellement à l’écoute, non pas une note de la technique musicale, ou même de la valeur réelle de l’album en général. Elle permet juste d’indiquer mon échelle de plaisir ressenti ici.)
Moi-même.