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9 janvier 2011 7 09 /01 /janvier /2011 14:03

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/en/e/e9/Miles_Davis_-_Agharta.jpg

 

Tracks : Prelude Pt. 1 ; Prelude Pt. 2 ; Maiysha ; Interlude ; Theme From Jack Johnson

 

« Vous cherchez quelque chose? » Quelques trucs, notamment les Miles Davis des années 70, comme On The Corner, Big Fun ou les live comme Agharta, Pangaea et Dark Magus. Les yeux du vendeur du vinyle qui me pose la question s'illuminent. « Ah Agharta... Immense ce live. Mon dernier trip sous acide ». Parfois, lorsqu'on parle avec des vendeurs de vinyles, on tombe sur de sacrés personnages. Celui-ci en est assurément un. « Tu sais Agharta, c'est carrément un viol cosmique, une expérience sexuelle. » Un trip psychédélique, c'est sur. « Plus prenant que tous les autres disques que j'ai pu prendre sous acide. Plus trippant qu'Hendrix ou l'Airplane ». Il faut dire qu'à l'époque, Miles Davis ne carburait pas précisément à l'eau minérale tout en se couchant à 21h30. Cocaïne, sexe, alcool, musique. Personne ne pouvait vraiment rivaliser avec ce jazzman revenu au sommet avec Miles Davis - Bitches Brew (1970) . Un sommet qui l'a mené jusqu'à l'ile de Wight, concert mythique où lui et son groupe du moment jouèrent devant les 500000 personnes présentes ce jour là, un set passionnant d'improvisation de 40 minutes. Mais il y a un public que Miles Davis appréciait particulièrement : le public japonais (il le dit dans sa biographie). Et c'est au Japon, alors même que les excès commencent à avoir raison de lui, qu'il ira jouer le 1er février 1975. Deux concerts le même jour. Le premier (durant l'après midi) deviendra Agharta. Le second (le soir) deviendra Pangaea. Quelques mois plus tard, Miles se retira, le cerveau et le corps complètement grillés par les drogues. Il faudra attendre 6 ans pour qu'il sorte de son appartement/repaire de New-York pour faire à nouveau de la musique. Témoignage de la fin d'une époque que cet Agharta donc. Un témoignage aussi cosmique et trippant que le disait mon vendeur de vinyles?

 

Lorsque Miles monte ce jour là sur la scène d'Osaka, il est entouré de son groupe avec qui il tourne depuis 2 ans : Al Foster à la batterie ; Mtume aux percussions et congas ; Michael Henderson à la basse ; Reggie Lucas à la guitare (plutôt rythmique) ; Pete Cosey à la guitare (plutôt soliste), au synthétiseur et aux percussions ; Sonny Fortune au saxo alto et soprano et à la flute. Ce dernier remplace pour ces concerts l'habituel saxophoniste du groupe Dave Liebman. Et on retrouve bien sur Miles Davis à la trompette et à l'orgue. Autant dire que c'est un groupe chevronné, qui même s'il ne contient pas de « superstars » comme Chick Corea, Keith Jarrett ou John McLaughlin est capable de merveilles absolues.

Et autant le dire tout de suite : Agharta est une de ses merveilles absolues. Un « trip cosmique » est une expression étrange, mais probablement assez juste. Rarement (presque jamais), je n'ai entendu quelque chose d'aussi prenant, d'aussi puissant et d'aussi trippant en fait. Pourtant le disque peut paraître insurmontable de prime abord. Les deux parties de Prelude durent 32min32, Maiysha dure 12min19, Interlude 26min33 et Theme From Jack Johnson 25min15. Le tout est bien sur totalement instrumental et est composé majoritairement de morceaux improvisés (Pangaea est encore plus impressionnant en proposant 2 morceaux de 45 minutes chacun). Et pourtant...

 

Pourtant dès les premières notes de Prelude, je suis totalement happé. Ce rythme imprimé par Al Foster et Michael Henderson (qui est ancien de chez Motown et a aussi travaillé avec Steevie Wonder) est tout bonnement brulant, incandescent. Une rythmique funk qui n'a plus rien à voir avec le jazz, mais qui est prenante, trippante comme une invitation à danser au son du cérémonial vaudou qui se prépare... La cérémonie commence, le rythme nous happe... Ce sont les rivages africains originels qui se dessinent au fil de ce rythme infernal. Et c'est entrelacées à ces rythmes funk qu'on retrouve ce qui manquait au concert de l'ile de Wight à mon goût : des guitares électriques. Car il y a deux guitaristes ici : Reggie Lucas et Pete Cosey. Et bien que Jimi Hendrix soit mort depuis déjà 5 ans à l'époque, c'est son ombre tutélaire qui est convoquée ici au sein du brasier par la paire de guitaristes. Mélanger Sly & The Family Stone, James Brown, Hendrix et le jazz. C'était l'ambition de Miles Davis à l'époque. Et sur ce Prelude infernal et brillant, il y arrive parfaitement. Tout est trippant de wah-wah (pédale d'effets que Miles utilise même sur sa trompette), de groove et de décharges électriques qui rugissent... Vraiment cette équipe est en symbiose totale et les guitares sont tranchantes et magnifiques. Des soli métalliques impressionnants. Seules quelques interventions de l'orgue réalisent quelques brèves pauses au sein de cette fournaise, permettant de reprendre de l'air. Un air qui ne fera que ré alimenter le feu qui court, merveilleusement entretenu par les percussions de Mtume ou la basse de Michael Henderson, impressionnante de groove. 32 minutes certes imposantes à la première écoute, mais qui finalement se consument et se consomment d'une traite, messe vaudou magique et psychédélique.

 

Et si Maiysha (dont on trouve la version studio sur Get Up With It) calme un peu les choses, le voyage est de toute façon définitivement lancé. C'est la flute qui se taille la part du lion ici en nous livrant un thème très joli, délicat et prenant, presque apaisant après la tornade qu'est Prelude. Mais c'est sans compter sur les guitares électriques, puissantes, insistantes, rugissant d'électricité. Un jeu du chat et de la souris mené avec comme chant de bataille une basse galopante et une batterie magistrale... Un champ de bataille qui laisse ensuite place à la trompette de Miles Davis, calme, un peu aiguë qui vient dominer la guitare électrique pendant quelques minutes, avant que celle-ci ne se mette à nouveau à jouer au chat et à la souris avec la flute. Et c'est Al Foster qui conclut sur un rythme un peu fou le premier disque magique d'Agharta entre incendie et quiétude.

 

Un grand jet d'essence au cœur du brasier. C'est un peu l'effet que fait Interlude lorsque le deuxième disque démarre. Là encore, c'est la rythmique qui est responsable : Al Foster matraque ses futs comme s'il était possédé par un démon africain et Michael Henderson nous livre un groove titanesque et parfaitement audible. Autant d'éléments qui permettent aux guitaristes de se laisser aller et de dominer le premier tiers du morceau, électrique, métallique, tranchant. Mais bien sur, la trompette arrive, magnifique, étrange, évocatrice... Et si c'était elle qui parvenait à contrôler les démons libérés par cette musique? Si c'était elle le fil conducteur auquel s'accrochaient les ombres immémoriales venues du continent noir? A moins que ce ne soit cette guitare évocatrice, calme dans ses soli vers 15 minutes qui nous guide là où Hendrix nous guidait aussi quelques années auparavant ? Quel dommage que le mythique gaucher de Seattle soit mort avant d'avoir pu enregistrer quelque chose avec Miles...

 

Et le disque se conclut par un dernier morceau de 25 minutes, qui occupe toute la face B, Theme From Jack Johnson, qui rappelle l'album A Tribute To Jack Johnson, disque réalisé en hommage à Jack Johnson, le premier boxeur noir à être devenu champion du monde des poids lourds en 1908, et que Miles admirait. Le morceau met un peu de temps à démarrer (les 3 premières minutes), mais la guitare finit par nous emmener dans une danse langoureuse qui ressemble un peu à du blues. Le morceau est probablement le plus psychédélique de l'album, très planant, et moins entrainant que ces prédécesseurs (surtout Prelude et Interlude). Ici c'est moins le rythme qui nous entraine que les nappes de claviers, et la guitare, plus calme que précédemment, mais néanmoins magnifique. Au niveau de la guitare, c'est peut-être d'ailleurs la piste que je préfère, car les éruptions incandescentes laissent un peu de place à une beauté fragile et douce... Le brasier est installé, maitrisé et devient un feu qui nous consume lentement, doucement... Lorsque vers 13 minutes la guitare s'efface pour laisser la place à la trompette, on assiste à un instant délicat, une symbiose simple, mais superbe. Miles parlait souvent de la valeur des silences. Ici il laisse le silence encadrer son jeu, il laisse le silence faire la transition, et c'est le silence, qui nous ouvre la voie de l'espace infini....

 

« Tu sais, après ce disque, j'ai jamais revécu un trip pareil, même sur The Jimi Hendrix Experience - Electric Ladyland (1968) . Du coup j'ai arrêté l'acide, et je me suis promis que j'en reprendrai que lorsque je trouverai Pangaea en vinyle ». Miles lui-même se retira pendant 6 ans après ces deux shows à Osaka, vidé, épuisé par tant de créations géniales en si peu d'années (et par trop de coc). Mais reste ce disque, véritable voyage dans un pays tour à tour évocateur de la chaleur du continent noir et de l'immensité de l'espace. Un disque sublime pour peu que vous ne soyez pas rebuté par la longueur des morceaux. Bien sur, il ne vaut mieux pas commencer par ce disque ( Miles Davis - In A Silent Way (1969), On The Corner ou Bitches Brew sont plus indiqués je pense), mais si vous aimez les voyages, ce disque est tout simplement un chef d'œuvre. Un putain de trip cosmique.

 

19/20 (NB : La note exprime juste le plaisir que j’ai ressenti personnellement à l’écoute, non pas une note de la technique musicale, ou même de la valeur réelle de l’album en général. Elle permet juste d’indiquer mon échelle de plaisir ressenti ici.)
 
Moi-même.
 

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commentaires

F
Excellent texte sur ce live mythique de Miles !<br /> Je suis aussi un fan d'Electric Miles, cette période bénie des dieux démarrant avec "Bitches Brew" et "In a silent way", époque qui commença quand Miles eux le génie de convoquer la fée électricité<br /> dans son jazz....dans le jazz même. Mais gare aux puristes, ces intégristes et gardiens du Temple "tradition" qui le lynchèrent et l'accusèrent d'être "commercial, de ne plus faire de jazz" ! Ah le<br /> manque d'ouverture d'esprit !<br /> Mais ce genre d'histoire avait déjà eu lieu avant, quand un certain Bob Dylan troqua sa guitare sèche pour une électrique. Et en plus joua avec un groupe en formation rock (guitare + basse<br /> électrique + batterie). C'était avec le folk en 1963 au Festival de Newport.<br /> Comme quoi, les génies visionnaires sont incompris.<br /> <br /> QUESTION : Quel était le meilleur groupe de rock psychédélique dans la première moitié des années 70 ???<br /> <br /> RÉPONSE : Le Miles Davis Bans bien sur !!!!<br /> <br /> Bye bye et bravo pour ce blog..........
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