Tracks : Svefn-g-englar ; Glósóli ; Ný batterí ; Fljótavík ; Við spilum endalaust ; Hoppípolla ; Með blóðnasir ; Inní mér syngur vitleysingur ; E-bow ; Sæglópur ; Festival ; Hafsól ; All alright ; Popplagið ; Lúppulagið
L'histoire commence en aout 1994 à Reykjavik. Trois jeunes hommes décident de former un groupe de rock. Il s'agit de Jón Þór Birgisson à la guitare et au chant, Georg Hólm à la basse et d'Ágúst Ævar Gunnarsson à la batterie. Le trio prit le nom de Sigur Rós. Londres, 20 et 21 novembre 2008. La route a été longue entre cet été 1994 à Reykjavik et la scène de l'Alexandra Palace. Pourtant entre 1994 et 1999, personne n'aurait parié sur Sigur Rós. Leur premier album, Von, paru en 1997, n'a été vendu qu'à quelques centaines d'exemplaires en Islande. Sigur Rós - Ágætis byrjun (1999) va tout changer, apportant le succès international, les tournées avec Radiohead, les B.O. de films Hollywoodiens comme Vanilla Sky. Sigur Rós, rejoint par le claviériste Kjartan Sveinsson et le batteur Orri Páll Dýrasonau cours de l'année 1999va devenir un des plus grands et des plus intéressants groupes de post-rock au monde. Pourtant lorsque le groupe monte sur scène le 20 et 21 novembre 2008, pour la tournée de l'album Sigur Rós - Með suð í eyrum við spilum endalaust (2008), son avenir est incertain. Ces deux dates sont les deux dernières à l'étranger, avant le retour du quatuor en Islande pour un dernier concert à Reykjavik. Après ça, chacun veut partir dans sa propre direction, s'occuper de sa famille ou vaquer à des projets solos. Jónsi a-t-il déjà en tête les chansons du disque qu'il va enregistrer avec son compagnon Alex Sommers (Jónsi & Alex - Riceboy Sleeps (2009)) ou les morceaux de son propre futur album solo lorsqu'il monte sur scène ce soir du 20 novembre? Possible. Le groupe est à la veille d'une pause dans son activité qui va durer presque quatre ans. Peut-être même songeaient-ils à se séparer définitivement. C'est pourquoi il fallait laisser une trace d'une performance live de Sigur Rós. Deux ans plus tôt, le groupe avait tourné sur son ile natale un film, Heima, qui signifie « à la maison » en islandais. Ils y livraient de superbes prestations acoustiques de leurs chansonsdans des lieux insolites d'Islande. Le film met l'accent sur la magnificence des paysages et la beauté des chansons du quatuor en acoustique, accentuant le lien qui existe entre les deux. Quelques uns de ces morceaux ont d'ailleurs été gravés sur le double album Hwarf/Heim, paru en 2007. Mais il manquait à la discographie du groupe un véritable album live, pouvant retranscrire une performance normale de Sigur Rós sur scène. Le groupe a donc l'idée d'enregistrer ses performances du 20 et 21 novembre 2008, à Londres, pour en faire un nouveau film et un disque live. En résulte Inni, qui paraît en 2011 après trois longues années d'attente.
Inni signifie « A l'intérieur » en islandais. Comme une sorte de contrepoids absolu à Heima. Si Heima mettait en scène Sigur Rós dans les sublimes et torturés paysages islandais, Inni met en scène le groupe, et uniquement le groupe, sur une scène anglaise. Le film, à l'opposé des superbes images d'Heima, est en noir et blanc. Dans une esthétique volontairement floue et donnant une image vieillie, centrée uniquement sur les membres du groupe. Le son des deux prestations enregistrées sur Inni est aussi à l'opposé des performances d'Heima. Là où le groupe avait choisi de jouer en acoustique pour Heima, il joue ses titres dans une version très électrique sur Inni. C'est d'ailleurs Svefn-g-englar, un des meilleurs morceaux de leur répertoire qui ouvre le concert. La version est ici particulièrement électrique et rugueuse, car l'absence de production fait ressortir le son très particulier de la guitare électrique frottée par l'archet de Jónsi. Les claviers (et notamment le fameux son de sonar rappelant Echoes de Pink Floyd) sont extrêmement envoutants et nous emmènent directement dans un univers onirique... Pouvait-on imaginer plus belle introduction? Probablement pas, surtout que le groupe enchaine sur Glósóli, autre longue plage qui servait d'introduction à Takk... et à Heima. Même si le morceau est moins bon que Svefn-g-englar, sa lente montée d'émotion achève définitivement de nous envouter et de nous emmener dans le loin voyage planant et électrique que sont ces shows de l'Astoria Palace. Et lorsque surgissent les larsens menaçants de la guitare du terrible Ný batterí, on se dit que Sigur Rós n'est pas qu'un envoutant et magnifique groupe de studio. Ces quatre là forment aussi un formidable groupe de scène, qui sur ce classique issu de leur deuxième album est capable de maitriser la foudre pour créer une tension et une émotion palpables... Dommage malheureusement qu'ils ne jouent que deux titres d'Ágætis byrjun durant le concert. La performance vocale de Jónsi est ici absolument hallucinante d'intensité et les orgues austères instaurent une ambiance extrêmement prenante...
La suite du concert est néanmoins un peu plus joyeuse, notamment avec trois morceaux issus de Með suð í eyrum við spilum endalaust (Fljótavík ; Við spilum endalaust et son rythme guilleret et l'époustouflant Inní mér syngur vitleysingur au piano enchanteur) et le très touchant et joyeux Hoppípolla issu de Takk... sur lequel Jónsi livre une prestation vocale absolument hallucinante d'émotivité. Tous ces morceaux sont plus courts que les trois premiers, plus joyeux, mais n'en demeurent pas moins très jolis et plaisants. Un bon reflet du virage moins solennel que Sigur Rós avait pris sur leur dernier album en date. Pourtant c'est le glacial et ténébreux E-Bow, sixième piste originellement sans nom de Sigur Rós - () (2002), qui vient conclure le premier disque d'Inni. Je ne vais pas m'en plaindre, tant je trouve la beauté glaciale et ténébreuse de ce morceau absolument fascinante. Le grondement caverneux et hypnotique qui se dégage de la guitare et des claviers est absolument grandiose et le caractère très électrique et brut du live rend le titre tout aussi impressionnant qu'en studio... C'est bien simple, c'est un des meilleurs moments du concert.
Pourtant le deuxième disque ne faiblit pas vraiment avec Sæglópur (issu de Takk...), et surtout avec Festival, qui offre là encore (décidément c'est habituel sur Inni) une performance vocale absolument hallucinante de Jónsi et une interprétation instrumentale particulièrement prenante. Le crescendo final du morceau est un pur bonheur, et c'est probablement pour ça que Festival a été choisi comme premier extrait pour présenter Inni avant sa sortie. Le groupe profite d'ailleurs de ce moment de grâce pour nous livrer ensuite Hafsól, une chanson issue de leur premier album Von. Même si ça fait plaisir d'entendre ce morceau qu'on n'a pas forcément l'habitude d'entendre (surtout que Von n'est pas l'album de Sigur Rós que j'écoute le plus), je dois néanmoins reconnaître qu'il ne s'agit pas du morceau le plus indispensable du live. Tout comme le morceau suivant All alright qui vaut surtout pour le chant très doux et triste de Jónsi. Heureusement le groupe a gardé du très lourd avec Popplagið, morceau qui vient toujours conclure leurs concerts depuis 2002 (et qui conclut l'album () et le film Heima). Long morceau de quinze minutes, Popplagið est un des seuls morceaux du groupe qui après un long crescendo très doux, finit par totalement exploser. Toute l'émotion et la tension accumulées durant le concert trouvent ici leur aboutissement dans une transe salvatrice, sous les coups de butoir de la batterie, le rythme implacable de la basse et les explosions de guitares à la fois destructrices et salvatrices...
Le groupe cependant ne s'arrête pas là et nous livre une petite surprise avec la dernière chanson, Lúppulagið. Il ne s'agit en effet pas d'un morceau joué durant les deux concerts, mais d'un instrumental inédit, joué en studio. Le piano qui mène la chanson est très délicat et doux, et si ce n'est clairement pas un chef d'œuvre, on prend plaisir à écouter cette petite pépite que le groupe a placé là pour les heureux possesseurs d'Inni.
Néanmoins, Inni n'a pas besoin de ce petit inédit final pour être rigoureusement indispensable, car ce live de Sigur Rós est impressionnant d'intensité et de puissance. Le groupe est ici très en forme, que ce soient les instrumentistes ou Jónsi dont le chant est d'une élégance et d'une émotion impressionnantes. Les morceaux sont ici interprétés à la perfection, sous un jour plus rugueux et électrique qu'on ne connait pas forcément dans le travail studio du groupe. Le seul reproche qu'on peut adresser à Inni concerne probablement la setlist. On retrouve en effet ici une majorité de morceaux provenant de Takk... et de Með suð í eyrum við spilum endalaust et finalement seulement deux morceaux d'Ágætis byrjun et de (). J'aurai aimé avoir certains morceaux comme Starálfur, Ágætis byrjun, Vaka ou Álafoss. De même, l'absence de Gobbledigook, superbe et joyeux titre qui ouvre Með suð í eyrum við spilum endalaust se fait cruellement sentir. Apparemment le morceau a bien été joué, mais un souci technique a eu lieu lors de son enregistrement, l'empêchant d'être mis sur ce live. De même je regrette l'absence de la solennelle et superbe Ára bátur, une des plus belles compositions des islandais à mon goût. En outre on peut se dire que le film n'est pas rigoureusement indispensable, tant le traitement de l'image est plaisant au début, mais devient assez vite lassant. Mais malgré ces petits reproches, ne vous y trompez pas. Inni est un live de très grande qualité, qui montre que les islandais de Sigur Rós sont aussi indispensables sur scène qu'en studio.
16/20 (NB : La note exprime juste le plaisir que j’ai ressenti personnellement à l’écoute, non pas une note de la technique musicale, ou même de la valeur réelle de l’album en général. Elle permet juste d’indiquer mon échelle de plaisir ressenti ici.)
Moi-même.