Tracks : Driftin’Back ; Psychedelic Pill ; Ramada Inn ; Born In Ontario ; Twisted Road ; She’s Always Dancing ; For The Love Of Man ; Walk Like A Giant ; Psychedelic Pill (Alternate Mix)
Parfois l’écriture est une maitresse bien capricieuse… Pour tout le monde. Même quand on est un des plus grands génies de l’histoire du rock. Suite à un AVC, les médecins ont demandé à Neil Young de complètement arrêter de fumer de la marijuana. Pour l’éternel hippie qu’est le Loner, fumeur d’herbe depuis presque un demi-siècle, le coup est rude. La muse de l’écriture s’est-elle enfuie avec cette obligation d‘arrêter de fumer ? C’est ce que Neil Young semble se demander à demi mots dans son autobiographie parue l’an dernier. Pourtant son talent littéraire est toujours là, c’est indéniable à la lecture de ce très bon livre. Alors quel est le problème ? « S’enfermer dans la grange avec le Crazy Horse, jouer des heures durant jusqu’à ce que la muse revienne ». Voilà qui résume l’état d’esprit de Neil Young en 2012. Il faut dire que tout au long de ses plus de quarante ans de carrière, Neil Young n’a jamais été aussi bien soutenu que par le Crazy Horse, ce groupe composé de Frank Sampedro à la guitare, Billy Talbot à la basse et Ralph Molina à la batterie. Beaucoup des chefs d’œuvre du Loner ont été publiés avec ce groupe (Rust Never Sleeps, Zuma, Everybody Knows This Is Nowhere). Mais depuis le moyen Greendale en 2003, Neil Young n’a plus enregistré un seul album avec son cheval fou fétiche. Bien décidé à rectifier le tir et à apprendre à écrire sans l’herbe, Neil Young s’enferme donc dans sa grange. Avec Crazy Horse, fidèle à sa parole. En ressort début 2012 Americana, un premier galop d’essai agréable de reprises de standards américains. Cependant, malgré la sympathie qu’inspire la galette, un vulgaire disque de reprises exécutées timidement ne saurait être à la hauteur des attentes suscitées par le retour de Neil Young et du Crazy Horse. C’est alors que fin 2012, Neil Young publie à nouveau un album, double cd (triple vinyle !), son plus long effort à ce jour : Psychedelic Pill. Tout un programme.
Etonnamment, c’est le Loner seul qui nous accueille sur Drifin’ Back, uniquement armé d’une guitare acoustique. Pourtant tel un cheval qui se lance au galop, le Crazy Horse entre vite en scène. D’abord par les guitares électriques, puis lorsque la section rythmique qui sonne comme nulle autre pareille lance la chevauchée. Nous voilà partis pour un voyage de 27 minutes, très électrique et aérien, où les guitares électriques très saturées grondent et se répondent sans discontinuer sur une rythmique planante et lourde à la fois. Le retour aux jams du Crazy Horse dignes de Ragged Glory ou d’Everybody Knows This Is Nowhere. Les solos s’enchainent, se répondent et se contredisent tandis que la section rythmique poursuit son trot, tranquille et implacable, guidée par les martèlements lourds et secs de Ralph Molina à la batterie et la basse chaude de Billy Talbot. De temps en temps, la voix de Neil survole l’ensemble, aérienne, émouvante, gravant dans nos mémoires le refrain « I’m driftin Back » comme un mantra. Un galop tranquille, d’une puissance sereine qui n’a finalement pour seul « défaut » que sa longueur, qui le rend parfois un peu redondant. Ce qui permet aussi de prendre le temps de voyager au gré des paysages imaginaires du grand ouest américain qui défilent dans nos têtes à l’écoute de ce titre…
Un des « avantages » d’avoir ce disque en vinyle est d’ailleurs que Drifin’ Back est coupé en deux (trop long pour tenir sur une seule face), ce qui mine de rien donne un peu d’air à l’auditeur au milieu du voyage. Comme quoi un défaut technique peut parfois être une qualité …
La suite est encore plus expérimentale avec le court titre Psychedelic PIll qui donne son nom à l’album et qui est complètement noyé sous le flanger, un effet de production qui rend cette pilule complètement… Psychédélique. Tous les instruments et la voix sont noyés dans un son brumeux, amplifié et distordu. L’abus du flanger rend ce titre comme l’acide : C’est cool, mais mieux vaut ne pas en abuser. Il y a d’ailleurs une version du titre avec un mixage plus classique à la fin du disque (ou au début de la face 3 en vinyle), qui fait mieux ressortir le coté très rageur du riff et la solide colère que peut dégager le Crazy Horse. Certes, Neil et les siens ne partent plus dans des galops frénétiquement colériques comme sur Ragged Glory ou Rust Never Sleeps, mais ils restent capables avec des morceaux comme celui-ci de tenir la dragée haute à bien des jeunes groupes. On n’apprend pas au vieil hippie à faire la révolution.
Le meilleur est cependant encore à venir avec Ramada Inn. Là encore, le Crazy Horse prend son temps. Le morceau s’étend sur 16 minutes 30. Pour mon plus grand bonheur, car on touche ici au génie absolu. Ramada Inn est un des trois plus grands morceaux du disque avec She’s Always Dancing et Walk Like A Giant. Ce titre démarrant sur un solo de guitare évoquant les plus grandes heures de Neil Young (Cortez The Killer de l’album Zuma, n’est pas loin) est très nostalgique et doux. La rage de Driftin’ Back et de Psychedelic Pill s’efface ici pour que Neil évoque avec mélancolie une douce romance qui s‘étire au fil des âges. Le temps passe, mais l’amour et les vieux amours restent… Et que le temps passe vite sur Ramada Inn avec ce rythme doux du Crazy Horse qui nous berce, les grondements électriques apaisants des guitares et les soli plus émouvants et doux les uns que les autres de Neil Young… Et que dire de ce chant, toujours à la limite du juste, mais toujours bouleversant ?
Après un tel sommet, le rock assez basique et classique de Born In Ontario, où Neil Young évoque sa jeunesse canadienne parait forcément un peu fade. Le morceau n’est cependant pas désagréable, notamment grâce au chant de Neil Young et à la mélodie du refrain plutôt agréable et qui se retient bien. La nostalgie est d’ailleurs aussi au programme avec l’anecdotique Twisted Road où Neil évoque la première fois qu’il a entendu Like A Rolling Stone de Dylan et le Grateful Dead à la radio. C’est d’ailleurs le titre le plus dispensable du disque, avec un Neil relativement radoteur pour le coup et un morceau très peu inspiré…
Heureusement She’s Always Dancing qui commence avec les chœurs du Crazy Horse tutoie à nouveau les sommets. Neil et son cheval fou se lancent à nouveau dans une cavalcade plus courte et sobre que Driftin’ Back ou Ramada Inn (ce morceau ne dure « que » 8min33), mais tout aussi efficace. Si ce n’est plus. Les coups secs de batterie fournissent à nouveau un socle parfait pour les soli de guitare, toujours aériens, mélancoliques et absolument fantastiques… La rage tranquille du Crazy Horse, associée au charisme surnaturel de la voix de Young donne ici un nouveau chef d’œuvre, qui aurait presque pu être enregistré en 1975. Tout comme la douceur veloutée de For The Love Of Man, ballade aux accents acoustiques qui prouve qu’en termes de ballade crève cœur, le Loner est définitivement un maitre en la matière. Une petite chanson douce, simple et humble, mais qui frappe juste.
Et c’est un immense titre, Walk Like A Giant, qui vient conclure Psychedelic Pill (le mix alternatif du morceau titre est situé après ce morceau sur le cd). Attention, joyau. Pour la troisième fois (Driftin’ Back étant trop long pour pleinement mériter le titre de chef d’œuvre), Neil Young et le Crazy Horse frappent très très très fort. Le Loner, éternel hippie devant l’éternel nous parle ici d’écologie, un sujet qui lui tient particulièrement à cœur (il évoque très régulièrement son obsession pour les voitures à l’éthanol dans son autobiographie), et nous emmène avec son Crazy Horse dans un périple absolument prodigieux, où l’on tutoie les cimes de tous les paysages montagneux du monde. Rugueux le titre l’est. Rageur aussi quelque part. Chaque coup de batterie sonne ici comme un mini séisme. Mais il y a aussi une tension très aérienne dans les grondements orageux des guitares, et les sifflements de Neil Young nous servent de guide, tel un rapace nous faisant contempler depuis les hauteurs les traces laissées par les géants sur notre bonne vieille Terre… Autant dire qu’en 16 minutes 27, on a le temps de voir de magnifiques paysages défiler… Même si malheureusement, les deux dernières minutes du morceau sont absolument chiantes et inutiles.
C’est peut-être d’ailleurs un des seuls reproches qu’on peut vraiment adresser à ce disque : il est trop long. Walk Like A Giant pourrait être coupée d’au strict minimum 3 ou 4 minutes, il y a une version en trop du morceau titre, Twisted Road et Born In Ontario ne sont pas spécialement indispensables (sans être de mauvaises chansons) et Driftin’ Back mériterait facilement 10 minutes de moins. Mais il faut bien reconnaître que malgré ses longueurs, ce disque est une vraie mine d’or… On n’avait pas entendu Neil Young & Crazy Horse aussi inspirés et bons depuis… Ragged Glory en 1990 ? Le groupe retrouve tout son savoir faire : émotion et nostalgie adossées à une rage électrique et à un son saturé et sale qui a lancé les bases du grunge il ya 30 ans. Et si le cheval ne galope plus avec la vigueur de ses jeunes années, il est encore capable de mener une course de fond qui distance tout le monde et impose comme indispensable en 2012 un disque de Neil Young.
16/20 (NB : La note exprime juste le plaisir que j’ai ressenti personnellement à l’écoute, non pas une note de la technique musicale, ou même de la valeur réelle de l’album en général. Elle permet juste d’indiquer mon échelle de plaisir ressenti ici.)
Moi-même.