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23 septembre 2011 5 23 /09 /septembre /2011 23:05

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/en/3/30/Tribute_To_Jack_Johnson.jpg

 

Tracks : Right Off ; Yesternow

 

“I'm Jack Johnson. Heavyweight champion of the world ! I'm black ! They never let me forget it. I'm black all right; I'll never let them forget it.” En 1971, le Mouvement des droits civiques est terminé. L'égalité des droits entre noirs et blancs existe juridiquement. Martin Luther King et Malcolm X l'ont payés de leur vie. Mais tout reste encore à faire culturellement. Miles Davis, comme tous ses compatriotes noirs à souffert pendant des années de la ségrégation raciale. Tout comme Jack Johnson. L'histoire est symbolique de celle de tout un peuple. Jack Johnson était boxeur. Probablement le premier grand boxeur noir américain, une sorte de Mohamed Ali avant l'heure. Il fut en 1908 le premier noir américain à devenir champion du monde poids lourd de boxe, après un combat en 14 rounds contre le canadien Tommy Burns. Une victoire impensable à l'époque dans ce sport réservé aux blancs, qui avaient même le droit de refuser de se battre contre des noirs dans la catégorie poids lourd. Une victoire qui fit sortir l'ancien champion invaincu blanc James J. Jeffries de sa retraite pour reconquérir le titre. « Jeffries gagnera sûrement car l'homme blanc a 30 siècles de traditions derrière lui - tous les efforts suprêmes, les inventions et les conquêtes, et, qu'il le sache ou pas, Bunker Hill et Thermopylae et Hastings et Agincourt. » écrivit un journaliste de l'époque. Et pourtant... Jack Johnson gagnât le combat, le 4 juillet 1910. Une victoire symbolique, le jour de la fête nationale américaine. Une victoire qui coutât cher à la communauté noire, qui subit des actes de représailles de la part de blancs ulcérés d'avoir vu leur champion perdre. Une victoire qui finit par couter cher à Johnson, qui après avoir épousé une femme blanche finit par purger un an de prison. Une histoire de lutte et de racisme qui ne pouvait laisser indifférent Miles Davis. Lui qui se passionne pour la boxe sait aussi ce que c'est de lutter contre le racisme. On ne l'a jamais laissé oublier qu'il était noir. Et il n'a jamais laissé quiconque l'oublier. C'est donc après son coup d'éclat avec Miles Davis - Bitches Brew (1970) , qu'il s'attaque à la musique d'un documentaire sur Jack Johnson. Une bonne occasion pour lui de poursuivre sa conquête du public blanc en mélangeant le jazz, le rock et le funk. De quoi définitivement imposer son nouveau style électrique?

 

Pourtant, malgré l'évidence du thème « noir » de l'album, c'est avec un riff purement rock, voire presque hard rock (tel que le pratiquent Led Zeppelin ou Deep Purple à l'époque) que s'ouvre Right Off, qui occupe toute la face A d'A Tribute To Jack Johnson. C'est donc à John McLaughlin, guitar-hero blanc du jazz rock qu'il revient d'ouvrir le match et de lancer les hostilités. Durant 2min21, on n'entend d'ailleurs que son improvisation métallique et une batterie sèche volontairement plus rock que funk ou jazz. Nous sommes bien loin des nappes de claviers vaudou de Bitches Brew et de ce son enchevêtré et planant. Ici, l'introduction est purement rock. Il faut attendre 2min20 pour entendre la trompette de Miles faire irruption dans le champ sonore et lutter à quasi armes égales avec la guitare de McLaughlin. Un duel/duo époustouflant de maitrise et de beauté tant le jeu de questions/réponses entre les musiciens est parfait. Difficile de déterminer un gagnant dans ce match de boxe arbitré par la paire Billy Cobham/Michael Henderson derrière les futs et la basse. Un match qui semble l'espace d'un instant tourner en faveur de la guitare aux alentours de 6 min 50 et qui se calme. Le match devient danse entre la guitare apaisée qui intervient de manière sporadique et la trompette de Miles qui se fait un peu plus douce. L'espace d'un instant comme une pause entre deux reprises... Car les hostilités reprennent de plus belle, passionnantes. Il faut attendre la fin de la dixième minute pour que ce match cesse enfin sans réel vainqueur (si ce n'est l'auditeur) et qu'il laisse la place à une calme et magnifique trompette. Seule, avec pour seule réponse son propre écho.... De quoi nous mener vers 12 minutes à la deuxième partie du morceau dans laquelle s'invite le saxo de Steve Grossman qui domine largement la guitare qui n'intervient que de manière occasionnelle. Il faut attendre l'intervention d'Herbie Hancock à l'orgue (vers 16 minutes) pour refaire partir le morceau dans une communion sonore de tous les instruments. Le clavier, si discret jusque là (contrairement à Bitches Brew ou Miles Davis - In A Silent Way (1969) ) sert donc de transition ici, comme c'est le cas aussi sur le live ( Miles Davis - Agharta (1976) ). Le morceau semble ensuite repartir de manière cyclique, avec le riff de guitare (19 minutes) et une alliance d'instruments dans laquelle le clavier se taille enfin une place centrale. Ce match effronté entre les instruments est une élégante façon de conclure ce morceau phénoménal, plus rock que réellement jazz... Le premier uppercut de l'album et que de prouesses durant cette première reprise!

 

Mais le match ne s'arrête pas là et reprend après une courte pause avec Yesternow. Un changement de face... Pourtant les choses reprennent en douceur ici avec la basse qui se fait douce et calme et permet au clavier d'Hancock d'instaurer une ambiance spatiale, un peu onirique. De quoi laisser le champ libre pour la trompette de Miles qui se pose pas à pas sur ce ring tissé par la basse et le clavier. La trompette joue lentement, plaintivement, de ce jeu caractéristique de Miles qui met l'accent sur l'émotion dégagée par chaque note. Que ce soit sur So What en 1959 ou sur Yesternow l'effet est toujours aussi réussi, même si le morceau est ici nettement plus inquiétant. Vers 9 minutes, c'est la guitare qui prend le relais de la trompette paradant elle aussi sur cette basse ronde et féline qui continue de courir imperturbablement. Mais la guitare, bien plus faible que sur Right Off cède vite sa place au clavier et au saxo, pendant que la batterie dynamise peu à peu le morceau (11min30 environ) et mène à une section entière de Shhh/Peaceful (morceau de la face A d'In A Silent Way) qui est reprise ici (en auto référence) avant de laisser la place à Willie Nelson, la seconde partie du morceau (13min55).

 

Cela aurait presque pu être deux morceaux différents d'ailleurs, tant cette section varie de la précédente et part sur une basse nettement plus funk. Certains y voient d'ailleurs un hommage à James Brown et à la basse qu'on trouve sur Say It Loud, I'm Black and I'm proud. C'est sur cette rythmique funk que la guitare et la trompette reviennent s'affronter, dans un style plus funk pour la première tandis que le clavier (tenu par Chick Corea seulement pour Willie Nelson) donne une aura très psychédélique à l'ensemble (19 minutes) et que la deuxième guitare (Sonny Sharrock) vient épauler McLaughlin dans ce duel. Cette section (Willie Nelson, qui s'étend de 13min55 à 25min36) est meilleure à mon goût que la première de Yesternow, car elle est très planante et psychédélique et la section rythmique que Miles emmènera d'ailleurs à l'ile de Wight (Dave Holland à la basse/Jack DeJohnette à la batterie) y fait des merveilles. De qui laisser le mot de la fin à la trompette de Miles (vainqueur du combat?) et à l'acteur Brock Peters prononçant “I'm Jack Johnson. Heavyweight champion of the world ! I'm black ! They never let me forget it. I'm black all right; I'll never let them forget it.”.

 

Noir, A Tribute To Jack Johnson l'est indéniablement. Le jazz et le funk sont des musiques noires, des musiques de révolte qui ont accompagnés les différentes luttes des noirs américains. Noir, le rock l'est aussi dans sa forme initiale. Miles Davis ne cachait pas le fait que pour lui Elvis avait tout volé à des artistes comme Ray Charles, Little Richard et Chuck Berry. Ce qui n'est pas complètement faux. Ici Miles touche à tout, mélange tout, dans cette alchimie improbable qu'il construit depuis quelques années déjà pour accoucher d'un nouveau chef d'œuvre, tenant sur un seul vinyle cette fois. Le disque est cependant le plus « rock » de la période électrique de Miles (1969-1975), notamment grâce au fabuleux Right Off de la face A. C'est aussi son plus accessible, loin de l'austérité chamanique de Bitches Brew, du funk urbain d'On The Corner ou des doubles albums (Get Up With It et Big Fun). Même si la première partie de Yesternow n'est peut-être pas aussi brillante que le reste, c'est probablement la porte d'entrée rêvée pour un amateur de rock qui souhaite découvrir les albums de Miles Davis de cette époque. Et si vous aimez déjà ces albums, A Tribute To Jack Johnson vous conviera à un match que vous devriez apprécier...

 

17/20 (NB : La note exprime juste le plaisir que j’ai ressenti personnellement à l’écoute, non pas une note de la technique musicale, ou même de la valeur réelle de l’album en général. Elle permet juste d’indiquer mon échelle de plaisir ressenti ici.)
 
Moi-même.  

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